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Le nœud dans l’art contemporain

Le nœud dans l’art contemporain

Raimbaud Folle Gabare l'Escarbote

Texte de Michel Raimbaud publié dans le Bulletin de la Société des Amis du Musée de l’Abbaye Ste Croix n°11 – 1999

Le nœud dans l’art contemporain

Le thème de la conférence d’Itzhak Golberg, Le Nœud dans l’art contemporain, donnée le jeudi 7 octobre, a inspiré à Michel Raimbaud quelques variations sur le thème. Voici les réflexions d’un artiste pour qui le nœud relève d’une pratique artistique quotidienne

Les organes de l’homme

Une oreille, des branchies aux poumons déjà mystérieux et très sophistiqués. Un larynx et ses organes compléments tout aussi fabuleux.

Le langage de l’homme suit les nœuds de la pensée, qui plient, nouent les idées, ou les expliquent, dénouent ; un organe défilé, où passe le soufflet-poumon.

Première chaîne acoustique, puis systèmes musculaires, multiples du larynx, de la gorge, la luette, langue, bouche, dents, livres, d’où jaillit, murmure, chante, crie, râle, ou rit. Une parole, des sons, musique ouverte, voix, voyelles de sons sonnant, bloqués, consonant.

Imaginez la complexité de ces forces, de ce souffle devenu langage, de ce verbe créateur, qui nomme, ayant pouvoir sur le monde, et sur l’oreille, le cœur ou l’intelligence de l’autre – femmes et hommes.

Avant le nœud la corde

Hypothèse personnelle : d’abord les tripes, ou des peaux, lanières de peaux ou d’organes.

1- Tordre la tripe d’un point fixe en tournant et laisser finir : la corde se boucle d’elle-même.
2- Idée d’inverser le sens de rotation de la moitié des brins : un vers l’amont, l’autre vers l’aval. L’avantage  est de transformer un effort longitudinal en un effort spiralé, et spiralé dans les deux sens inversés, qui augmentent la résistance à la rupture, les brins étant pincés.
3- Insérer une âme, corde centrale, d’une matière plus dense, plus résistante, et hâler un corps lourd, frapper la corde au point fixe, la poulie palan viendra plus tard, en doublant les réas, on diminuera l’effort.

Et sur quoi hâler le solide (un menhir, une dalle de dolmen) sur des rondins sur l’eau (moitié à Locmariaquer moitié à Gavrinis) Comment a-t-on fait ?

De sorciers en sourciers la magie blanche et la noire

Aux sorcières la marmite, avec les remous des ingrédients maléfiques, méphitiques. À la fontaine la sourcellerie, l’art de dénouer les vouivres de la terre, et de consacrer la source, devenue fontaine Saint gré, fontaine de jouvence éternelle tout près de la cité des morts (si le grain ne meurt) pour les hommes de bonne volonté, dévoués à la peine des autres. La fontaine de Merlin, de Morgane, Viviane, Fine Amor des Troubadours, siècle d’or d’Aliénor d’Aquitaine, et de tous les poètes (mais où sont les neiges d’antan) et leur chant : musique incomparable, qui remonte aux druides de fabuleuse mémoire – « Dîtes-moi ou n’en quel pays » qui inspire toujours les meilleurs de la chanson française : les sabots d’Hélène, l’amour d’une reine… ou corne d’aurochs, au gué, au gué, la canne de Jeanne où Brassens à sa façon si légère, boucle demi-clés inversées-en vrai marin si bien enguitariné, qui chante clair, qui danse rond, la ronde des joyeux jurons!

La ronde des nœuds de la vie quotidienne, artistes artisans, ménagères et princesses.

Le banal est le plus étonnant : l’écriture banale de toutes les cultures conduit aux nœuds de lettres, signatures royales, lettrines enluminées des manuscrits magnifiques, mais c’est sur les graffitis, les raclures de murs de prisonniers que Tapiès exploite le carcéral vécu et la liberté espérée.

Brode, tricote, coupe, noue, ravaude combien de siècles, depuis le village néolithique, la femme cuisine, lave, tourne les poteries et soigne les tissus. Même ronde des nœuds des hommes, des milliers, même hors la marine qui a les plus savants les plus déliants car la mer mauvaise n’attend pas, perfide. Tous les vieux métiers nouaient : javelles, bottes, fagots, harnais, selles de paysans, tonneaux cerclés de châtaigniers, vanneries tressées, nasses, filets, Lignes, pièges multiples des chasseurs et pêcheurs. Liens des arcs, couture des kayaks, coiffures savantes, chignons et torsades, lacets des corsets, des chausses et des sandales, toutes les sirènes, les Ariane et les Pénélope jusqu’au mètre étalon de Marcel Duchamp.

Des gens de métiers créent une langue sur des millénaires d’expérience

Langue de professionnels, hommes simples, amarinés d’une expérience (au péril de la mer) affinée pendant des siècles, de la marine à rame du Levant, à la voile du haut bord du Ponant, des garçons solides, chaleureux, une langue d’images, de mots précis, de manœuvres nombreuses, d’états du ciel, de la mer et des vents, d’une incroyable richesse – mère de beaucoup de métaphores devenues continentales.

Un bien frêle outil qu’une barque de bois, gréée de toiles et de cordages. Dans l’urgence perfide d’une mer qui lève soudain, écume et d’une piaule de vent qui corne déjà, sans prévenir, où l’exécution des manœuvres est gage ou risque de vie, aux ordres des officiers et des quartiers-maîtres solides, qu’il faille grimper les enfléchures pour aller prendre des ris ou virer Les amures hâle dessus garçon main sur main. Puis la tourmente s’en est allée, dans la brise encore fraîche qui adonne, naissent les chants de voyages, des femmes et des îles, de celles du pays, la plus belle… de l’admiration « La belle olonnaise, belle comme une frégate française et pavoisée », au mépris « un fatras de marine, qui fait plus de remous que de sillage ». Ou les histoires qu’on raconte toujours en pays chaumois : « Le père Lazare, un vrai qu’a pas de loce tant la goule débordait, rendu, perdu, gueuné dans la purée macrouse, quelque part dans le nord, bien dépassé la surlingue : J’peux pas t’dire ! En dehors d’la gio-gra-phie qu’on était ».

Et toute la bordée de rire son plein ventre : Une autre ! Une autre ! Et gare aux poulies coupées du quai de la Fosse qui dégraisseront d’une rapide jusant les feuilles de paye de la campagne.

L’univers de Milliards de M. de nœuds

À la première seconde une vapeur de gaz : quelques milliards de degrés. Le cri du bébé univers (Jean Audouse), trois minutes de nucléo-synthèse rayonnante -rayonnement- cri fossile d’atomes éternels vestiges de l’expansion primordiale – perçu encore de nos jours.

De quelques quarks – infiniment petit -, à des milliards de galaxies qui explosent, naissent, tourbillonnent, s’effondrent, – l’infiniment grand – un mot antique : Kosmos – qui signifie beau et ordonné en grec – déjà une harmonie incroyable ; vision de nébuleuses d’une extravagante beauté, cités célestes multicolores mères de futures étoiles (Jean-Pierre Luminet). Et Leur opposé, plus terrifiant que tous les Léviathan : un univers fini dans le temps Loin, très loin dans l’espace, apparaît le passé ! Trous noirs géants avalant tout pendant des milliards d’années. Univers ombre fantôme

forme supérieure d’invisible
quintessence des anciens
bulle d’univers
légère.

Fluctuation quantique du vide.
Tohû-Wâ-Bohû de la Génèse ;
chaos, abîme, ténèbres
que savaient les anciens ?

Nœuds de pensée : amour, haine, conscience

Hubert Reeves, devant les nouveaux savoirs, et l’indéracinable violence de ce même monde, questionne : voici que nous apparait une nature éclatante d’intelligence complètement dépourvue d’amour. Comment concevoir l’extraordinaire degré de sophistication des phénomènes naturels de la vie végétale et animale et ne pas supposer un univers programmé pour engendrer la conscience.

mieux vaudrait se questionner sur l’inéluctable apparition de la conscience dans un univers doté de telles possibilités découvertes aujourd’hui et combien, certes très intéressantes, seront découvertes demain.

Le mot : de la protubérance au nouage

Un son court, sec, dur plutôt cru.
Beaucoup d’emplois du nœud : de l’articulation au lien qui rassemble, serre, boucle avec un sens de clôture.

Beaucoup d’images :
le nouch sablais, haut-fond dangereux ;
la noue de charpente, croisement des poutres ;
la « Noue Bras de Fer » nom évocateur, à la noise,
nœuds de vagues et d’écume, ou la Belle Noiseuse du chef-d’œuvre inconnu balzacien ;
littéraire : l’amour serra les nœuds par le sang commencé (Racine Bajazet).

Les nœuds routiers des mégalopoles, peut‑être prélude paléolithique aux réelles communications sorties des logiciels géants à venir. Et puis pour rire, danser, courir, gagner, deviner : le vieux jeu de l’Oie, inspiré du labyrinthe et lui du cerveau ;
les jeux de marelle, toupie, corde à sauter, tarot
et toutes les mancies de la main
et du marc de café.

Michel Raimbaud septembre 99

Bulletin de la Société des Amis du Musée de l’Abbaye Ste Croix n°11 -1999

Entretien avec Michel Raimbaud

Entretien avec Michel Raimbaud

Raimbaud Folle Gabare l'Escarbote

Texte publié dans le catalogue édité lors de l’exposition au Musée de La Roche-sur-Yon

Du 8 juillet au 1er octobre 1995

Entretien avec Michel Raimbaud

Laurence Imbernon

Plutôt que de procéder par questionnement sur votre œuvre, vos aspirations et vos préoccupations actuelles, je vais lancer des mots, des noms… Celui d’Élie Faure, par exemple.

Michel Raimbaud : Elie Faure ? Maintenant, je me sens bien plus proche de Michel Serres, l’écrivain des «Cinq Sens» du «Parasite», des «Hermès». Tout à la fois rugbyman, officier de marine, universitaire des sciences et des lettres, son savoir embrasse toutes les formes de la connaissance. Qu’il parle des Portes de l’Enfer de Rodin, du Balzac de «la Belle Noiseuse», la mer est toujours là, ce grand Utérus sauvage qui change sans cesse d’état et de couleur, des grands calmes à la mer énorme. Sa profondeur reste le contraire d’un espace social et certain. Il n’y a pas de trace sur la mer et celles qui sont là ne proviennent que des humains. En mer, la nuit, c’est la lune et les étoiles qui roulent et qui tanguent au gré de la houle. La planète est immense, mouvante et ronde. Le bateau et mon corps «nagent».

A la différence du marin, l’agriculteur imprime un sillon sur la terre, cette trace de mort. Je me situe en frontière de ces deux mondes, de ces deux planètes et j’aime l’analogie avec Michel Serres qui, entre son parcours littéraire et scientifique, est descendu de la montagne vers la Garonne.

Souffrance ?

Celle de la chair. Les lanières de cuir bleu tanné que je confectionne inquiètent ces mêmes enfants qui mangent leur bifteck. Il y aurait dans ces lanières une connotation de chair vivante, blessée, dépouillée. Il est vrai que lorsqu’on pèle un animal, il y a là un acte répulsif. Est-ce un détour ou une faute de ma part ?

Avant les cuirs, dès 65, j’ai peint une épave en carcasse ouverte, puis sont venus les culs de chalut, ramassés sur les côtes. La bête n’apparaissait pas dans ces sculptures, ni dans la forme ni dans un intérêt de représentation. Je n’aime pas les poules ni les vaches ni les lapins écorchés et s’il y a une idée de souffrance, ce serait alors, de ma part, un non-dit sur la guerre, les morts, les gens sous les décombres. Je suis un anxieux mais je crois avoir expatrié le statut de la bête écorchée. S’il y a souffrance, c’est une extrémité, la bête est refoulée. Le cuir est un superbe matériau, pour moi évacué de toute idée de mort. Et dans mon travail, le fait de la mort n’est pas plus important que le matériau vivant, pas plus que la jouissance.

Le cuir sec, c’est un résidu dur et qui dure: qui franchit les étapes de la mort, pour devenir, pour la jouissance du sculpteur, un objet sec. Il a un rapport avec la lumière, le désert, au contraire du mouillé, de la pourriture. Mais le mouillé, c’est aussi la mer. Rien n’est simple…

Associations d’idées ?

Elles sont pour moi plus musicales que fondées sur une anecdote. Par une anecdote, on donne un sens, quelque chose qui a lieu. C’est cette musique qui fonde les titres aux vocables patoisants, terrestres ou marins. Ces mots sont porteurs d’imaginaire, comme ceux de Rabelais qui ont gardé dans leur chanson une joie : alliance agréable de dire des voyelles et des consonnes. Des mots qui ont une liquidité, qui passent par la bouche. Érotiques, poétiques, les sonorités ont à voir avec le voyage. C’est ce qui fait la différence entre «halte» et «alt»… Le mot Gabare, par exemple, a son histoire. C’est scarabos, crabe et bateau rond en Grec, escarbote, Gabare, bateau de fleuve. «Ton père a-t-il un canote ? Que not, mais l’a une gabare a fond plat’ sur la chnoue».

Une Gabare est un objet mal défini, dont l’appellation est plus grande que le bateau. C’est comme le corps du marin : le bateau est son costume, son outil. Il l’habite et s’en sert. Les coracles irlandais sont encore faits de peaux de vache.

Mes Gabares sont folles, elles relèvent d’une certaine folie, celle des cabanes perchées : l’homme a un rêve d’oiseau autant qu’un rêve de poisson, les lieux qui lui sont interdits l’enchantent. Je l’associe au symbole de la charrette volante : fondamentalement, je vois : partage-habitation-instrument du mouvement du corps. C’est Vinci et l’homme dans sa roue. Aller à la pêche de ses territoires.

Modernité ?

Les vingt-cinq de la jeune sculpture avec Étienne Martin dans les années soixante-dix. Je me sens en panne pour passer de la modernité de Baudelaire à la post-modernité. Je remarque deux choses : chez l’homme, il y a toujours permanence et mutation. Permanence avec les naissances, morts, souffrances.
La modernité se situerait dans le second domaine. Mais on ne pourra jamais évacuer la pérennité. Le début du 20e siècle l’illustre en sculptures, entre autres celle du Balzac de Rodin, du Ready-Made de Duchamp en passant par La Colonne sans fin de Brancusi.
On saute en 20 ans dans le 20e siècle.

On établit aujourd’hui des rapports sociaux et intellectuels vis-à-vis de l’art.
Est-ce que ça suffit de décréter ? J’ai besoin de la virtuosité de la facture, d’une exécution de qualité. Mon exécution n’est pourtant et surtout pas esthétique.

La facture, à l’opposé du discours, détourne le monde.
Ma vision du monde, c’est que les Peaux de Vache n’existant pas dans leur nature, leur invention ramène à elles l’humanité, les végétaux, les minéraux, les météores.

Le langage ?

Le langage est encombrant. Heureusement que les mots ne viennent pas les premiers. Mais par exemple, cela me gêne toujours qu’il y ait des «sans titre».

Apparition de la couleur ?

Je ne sais pas, ce serait une envie de peintre. La couleur, je la convoque. Mais dans la sculpture, la couleur n’apporte pas une part essentielle. Le bleu des sculptures, c’est le bleu des sels de chrome. Cette couleur s’allie au ciel et à l’océan. Sa pâleur m’est plus silencieuse, l’oxydation possible l’approche de la tempête – je rêve d’une sculpture muette et sauvage. Comme la Noise de mer, ma sculpture grimace et mugit. N’est-ce pas un signe de ma nature ? Peut-être me quittera-t-il ?

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